København

Étendre ses frontières en recherche

Nicolas Garneau

8 minutes

L’hiver dernier, j’ai eu la chance d’aller à Copenhague, au Danemark, dans le cadre de ma recherche de doctorat. Je suis allé visiter un laboratoire en traitement automatique de la langue naturel, le Coastal Lab, qui oeuvre précisément dans mon domaine, le transfert d’apprentissage. Je vous fais donc part de mon expérience dans ce billet, qui j’espère pourra en inspirer d’autre à étendre leurs frontières en recherche, lorsque la situation le permettra.

La motivation

Parfois, on me demandait pourquoi je voulais m’éloigner pour aller voir un autre laboratoire de recherche. On comprenait encore moins lorsque je leur disais que c’était un “stage de recherche” non rémunéré et que j’y allais de mon propre chef. Clairement, le gars est tombé sur la tête; ça ne fait pas partie du cheminement au doctorat et en plus les stages ici au Canada sont rémunérés (voir très bien).

Il y a en fait trois principales raisons.

La première, très simple, est que j’adore voyager. La deuxième est que je voulais tout simplement rencontrer des gens, élargir mon réseau de contacts. La troisième est que je crois qu’il est fondamental pour un chercheur d’étendre ses horizons en recherche.

Effectivement, il est souvent bien vu de faire son doctorat dans un établissement différent de notre scolarité précédente, surtout lorsque l’on veut postuler pour un poste de chercheur ou de professeur. Puisque ce n’est pas mon cas (j’ai fait toute ma scolarité à l’université Laval), c’était essentiel pour moi de faire un stop dans un autre laboratoire. Pas seulement pour un éventuel poste, mais aussi pour améliorer ma façon de penser, d’attaquer les problèmes et par conséquent de trouver des solutions. Le doctorat est fait pour se spécialiser, être un expert dans un domaine ou une problématique très pointue. Même si dans notre laboratoire on est entouré de personnes beaucoup plus brillantes que nous, elles ne travaillent pas nécessairement sur les mêmes problèmes. On devient rapidement un expert dans notre domaine, d’où le besoin de se faire “challenger” par des pairs qui s’y connaissent autant sinon mieux que nous. Sebastian Ruder en glisse un mot dans son excellent billet “10 Tips for Research and a PhD”.

La préparation

Il y a évidemment quelques préparatifs nécessaires pour concrétiser un voyage de recherche. Ça se résume essentiellement en 3 étapes;

  • Trouver un endroit où faire votre stage;
  • Avoir/obtenir du financement;
  • Trouver votre hébergement.

Notez ici que je ne fais pas mention des visas de travail ou d’étude puisqu’en Europe il est permis pour tout Canadien d’y rester 3 mois ou moins. Pour obtenir un visa d’étude ou de travail, c’est propre à chaque pays et c’est habituellement un bordel incroyable. D’où ma décision de partir seulement 3 mois.

Je détaille donc les 3 étapes selon mon expérience personnelle.

Trouver un laboratoire

En 2014, j’ai fait une session d’étude à Toulouse en France et le bureau international de l’université Laval nous donne un sacré coup de main pour l’organisation du projet. Sans doute existe-t-il des mécanismes similaires dans d’autres universités.

Cependant, l’organisation d’un stage de recherche à l’étranger peut s’avérer assez différente surtout si nous n’avons pas de connexion à l’endroit où nous désirons aller. Pour ma part, je n’avais pas vraiment de préférences. J’ai littéralement envoyé des courriels aux superviseurs de laboratoires qui m’intéressaient comme;

  1. Anders Søgaard, de l’université de Copenhague.
  2. Noah Smith, de l’université de Washington,
  3. Shay Cohen, de l’université d’Edinburgh,

Anders est le seul à m’avoir répondu parmi la dizaine de courriels envoyés. Il m’a littéralement écrit: “We love guest PhDs, our doors are open!”. Ce n’est rien pour critiquer les autres chercheurs, ils sont tous très occupés et n’ont peut-être pas de place ou d’intérêts à accueillir un étudiant étranger. Cependant, Anders était extrêmement réactif considérant le fait que j’étais un parfait inconnu. Ça confirmait donc mon stage de 3 mois du 4 février au 27 avril 2020 à Copenhague!

Le financement

Si vous avez votre propre “stash” de côté, c’est l’idéal. J’avais quelques dollars en banque, mais Copenhague est une des villes les plus chères à visiter. Et si comme moi vous aimez la bonne bouffe, la boisson et les produits locaux, ça chiffre assez vite.

Comme mentionné précédemment, les universités sont souvent munies d’un bureau international. Celui de l’université Laval fournit une bourse de 1 000\$ pour tout stage à l’étranger aux cycles supérieurs, ce qui couvrait essentiellement mon billet d’avion de 1 023\$ réservé en octobre pour un départ en février.

Les associations étudiantes peuvent également vous donner un coup de main. L’AELIÉS, l’association des étudiant(e)s inscrits aux études supérieures, offre également un soutien de 300$ pour les stages ou voyages d’études. Ce n’est pas énorme, mais très rapide de faire la demande et c’est mieux qu’une claque en plein visage.

Au niveau gouvernemental, il y a (avait) quelques possibilités. Mitac Globalink offre habituellement une bourse allant jusqu’à 6 000\$, mais le programme n’a jamais ouvert pour l’année 2019-2020. Le FRQNT a également un programme de stage international pouvant financer jusqu’à 15 000\$. Ce programme-ci est très compétitif et malheureusement je n’ai pas obtenu le financement. J’ai entendu dire que les gouvernements (fédéral et provincial) ne sont plus très friands d’envoyer de la main-d’oeuvre à l’étranger alors qu’on est en pleine pénurie. Ce qui a beaucoup de sens en effet.

Bref, je me retrouvais donc avec une bourse de 1 300\$ pour partir 3 mois à Copenhague :(

L’hébergement

Pour ce qui est de l’hébergement, j’ai choisi d’opter pour la formule économique; une chambre dans un Airbnb. J’avais prévu dans mon séjour aller à Berlin rencontrer Anders (qui était chez Google en mars). Les 3 Airbnb que j’ai réservés coûtaient en moyenne 1 250\$ par mois, soit 3 750\$ pour l’hébergement. Pour le reste des dépenses (transports, nourriture, restos, activités) j’avais prévu environ 5 000\$ pour un montant total d’environ 10 000\$ pour 3 mois (yup, Copenhague n’est pas donné). Avec ma bourse de 1 300\$, il ne me restait qu’à prévoir 9 700\$, je me suis donc muni d’une petite marge de crédit :).

Le stage à Copenhague

Copenhague est sans aucun doute une des plus belles villes en Europe que j’ai visitées. Très propre, on y circule facilement à vélo (il faut absolument s’en procurer un, Swapfiets est parfait pour ça), la nourriture excellente et d’impressionnantes microbrasseries. On ajoute à tout ça la chaleur des gens. Coastal est un laboratoire d’une quinzaine de chercheurs (qui sont régulièrement présents) et chacun d’entre eux m’a personnellement accueilli. Le groupe organise régulièrement des activités, after work beer et participe religieusement aux pub quiz du Mikkeller.

J’étais particulièrement surpris de leur ouverture. Dès la première journée au laboratoire, j’étais un des leurs. J’ai passé beaucoup de temps avec Manu, avec qui je partageais un bureau, et Yova, qui m’a rapidement intégré à son projet de recherche. Le fait d’être présent facilite grandement la collaboration et la partage de connaissance. Je me souviens m’être régulièrement levé de mon bureau pour aller clarifier certaines choses avec Yova; on s’installe au tableau blanc, et on se met à écrire un paquet de trucs. Faire ça à distance est pratiquement impossible. Même si avec la COVID-19 on s’adapte et le travail à distance est plus facile, l’accessibilité instantanée d’une discussion avec un pair n’a pas d’égale.

Après 1 mois de travail à Copenhague qui a initié un article de conférence, je me dirigeais vers Berlin en Allemagne, pour rencontrer entre autres Anders, et assister à plusieurs Meetup de NLP.

Séjour à Berlin

Début mars j’atterris à Berlin pour y rencontrer physiquement Anders. Les hôtes de mon Airbnb étaient italiens et déjà ils commençaient à s’inquiéter de la situation en Italie, craignant une propagation de la COVID-19 en Allemagne. Le mardi, je suis allé dîner avec Anders pour discuter d’un projet de recherche qui m’a amené à travailler avec Mareike, une étudiante postdoc, et trois autres collègues, Sebastian Ruder, Anders Sandholm et Ivan Vulic.

Le jeudi soir, j’apprends que le Danemark ferme ses frontières en raison de la COVID-19 pour une durée indéterminée. J’étais, d’une certaine façon, pris en Allemagne. J’ai appelé mes assurances voyages pour les prévenir d’un retour anticipé et leur demander un remboursement des frais qui y sont reliés. On a décliné ma demande, me disant que tant qu’il n’y avait pas d’annonce faite par le gouvernement, le retour anticipé serait à mes frais. Les vols se remplissaient rapidement, le prix des billets d’avion montait en flèche, j’ai donc décidé d’acheter mon billet pour le lendemain. Samedi, le gouvernement demande à tous les citoyens canadiens de rentrer au pays. Merci les assurances (j’ai quand même réclamé, soyez sans crainte).

D’une pierre deux coups

Un de mes objectifs de ce voyage était de rencontrer des gens. Du point de vue académique, c’était chose faite. Je voulais également en profiter pour rencontrer des gens de l’industrie.

Berlin bouillonne au niveau de la scène startup à la communauté NLP est impressionnante. J’ai eu la chance d’aller dîner avec Alan Nichol de chez Rasa. Ce fut une rencontre vraiment intéressante, Alan est hyper sympathique. On a parlé de la recherche qui se faisait chez Rasa ainsi que des projets qui m’excitaient. Il m’a même offert de venir faire un stage dans leur équipe de recherche! Il prévoyait m’introduire à plusieurs startups pendant mon séjour à Berlin, dont Spacy. Malheureusement, la pandémie m’a forcé à rentrer au bercail.

Take-aways

Malgré tout ça, j’ai retiré beaucoup de positif de cette expérience. J’ai manqué quelques rencontres à Berlin, mais somme toute j’ai créé une belle relation avec les étudiants du Coastal Lab. Voir comment d’autres personnes abordent un projet de recherche est vraiment inspirant. Ça change en quelque sorte notre façon de voir les choses, nous amène une nouvelle perspective.

Non seulement j’ai eu beaucoup de plaisir à voyager, mon court séjour à Copenhague m’a amené deux articles scientifiques, de belles collaborations, et même un futur stage chez Rasa. Je recommande donc vivement à toute personne, ayant la chance de passer du temps dans un autre laboratoire de recherche, de saisir cette opportunité!